Qu'est-ce qui nous empêchent le plus souvent d'être patient avec l'enfant? Je pense qu'on souffre d'une tendance très commune, de croyances quasi collectives sur l’enfant.
Ces croyances non seulement empêchent d’être patient avec lui, mais empêchent surtout de répondre à ses besoins, de l’aider à se développer et s’épanouir.

A force peut-être d’en être témoins depuis notre enfance nous avons fini par nous les approprier…alors qu’elles sont loin de la réalité des faits…Bismillah

1. L'histoire d'une maman qui a oublié d'être patiente...


J'aimerais vous illustrer la première croyance par une histoire.

Mina a trois ans.

Depuis plusieurs jours elle n’arrive pas à trouver le sommeil à l’heure du coucher. Elle se sent seule, abandonnée.

Au moment de se coucher, maman vient l’embrasser et lui souhaiter bonne nuit. Puis elle s’en va.

Mina appelle sa maman pour qu’elle reste auprès d’elle un moment et la réconforte : « Maman, reste! »

Maman est très à cheval sur les règles.

Quand c’est l’heure de dormir c’est l’heure! Elle souhaite que sa fille soit disciplinée et pour elle ça passe par « pas de concession sur les règles! » « Et puis, je ne veux pas l’habituer à réclamer mon attention comme ça, après ça va être la porte ouverte à tous les caprices!! »

Elle revient donc la voir un très court instant puis sort de la chambre en laissant la porte grande ouverte, comme d’habitude.

Mina l’appelle. Sa maman ne répond pas. Elle pleure. Toujours pas de réponse. Mina, angoissée, pleure plus fort.

Maman, en colère, revient dans la chambre de sa fille, lui crie : « Tu dors, maintenant!! Tu vas réveiller ta soeur! » et ferme la porte.

Mina, encore plus angoissée d’être maintenant dans le noir, d’être cruellement « punie » pour avoir demandé une marque d’amour et d’attention, pleure de plus belle. Elle finit par s’endormir en grand état de stress, après de longues minutes.

Jour après jour, elle va de moins en moins pleurer. Non parce qu’elle s’est habituée, qu’elle est devenue plus « disciplinée », mais parce qu’elle sait maintenant que personne ne viendra la voir, lui accorder le temps et l’attention dont elle a tant besoin.

D’autres épisodes similaires se produisent dans le quotidien de Mina.

Observés un à un, ils peuvent paraître anodins, sans grande importance. En réalité, ils s’accumulent et laissent des traces.

Peu à peu, Mina va se couper de ses émotions pour ne plus souffrir. Elle va perdre également sa capacité à être empathique.

La petite fille pleine d’entrain qu’elle était devient de plus en plus effacée, triste. Son estime d’elle-même s’éteint.

Quelle croyance a empêché la maman de Mina de répondre au besoin d’attention de sa fille et d'être patiente avec elle?

Selon moi, c’est le mythe de l’enfant-roi.

Ou plutôt le mythe selon lequel, « si je me montre trop doux.ce, conciliant.e, encourageant.e, empathique avec mon enfant il va se transformer en enfant-roi pourri gâté ».

C’est vrai que l’enfant a besoin de limites. Il va même les tester, tôt ou tard. Il a besoin qu’on sache lui dire clairement « non » lorsqu’il faut.

Quoiqu’il y ait une nuance. Il y a une différence entre signifier un simple non (ferme et doux) à l’enfant et l’autoritarisme.

L’autoritarisme, les cris, les punitions, les fessées peuvent devenir des habitudes mais ne sont pas naturels.

Ils n’éduquent pas l’enfant mais finissent par briser sa confiance envers son parent et son estime de lui-même.

D’où vient cette idée qu’il faut se montrer dur pour « éduquer » un enfant ?

Je pense que notre société a une croyance qui a la vie dure malgré toutes les découvertes scientifiques récentes sur le cerveau de l’enfant

Selon cette croyance, être élevé « à la dure » va nous « préparer » à la dure réalité de la vie.

Et si c’était le contraire?

Et si être sécurisé affectivement dans notre enfance, grandir dans un climat doux et bienveillant, avec le sentiment d’être aimé et soutenu sans conditions, était la clé pour faire preuve de résilience face aux épreuves de la vie?

C'est en tout cas ce que les travaux du psychiatre Boris Cyrulnik et les recherches en neurosciences affectives ont démontré ces dernières années.

Malheureusement, souvent, cet autre diktat social s’invite chez nous :

« les enfants sont aimables à condition de ne pas occuper trop d’espace ou se rendre trop visible. Ils ne doivent pas trop bouger, trop pleurer, trop crier, trop jouer, trop poser de questions (surtout la mêêêêêêême cinquante fois!!! ^^). On doit pouvoir les oublier ».

Ce diktat ne tient pas compte du fait que les enfants ne savent pas encore gérer seuls leurs émotions, frustrations, qu’ils ont un besoin vital de bouger, jouer, explorer, s’émerveiller, questionner…et de se sentir acceptés, aimés et soutenus, de participer à la vie familiale et sociale.

2. Une vérité sur l’enfant que la plupart des parents ignorent (ou oublient)

Vous vous rappelez quand la maman de Mina se disait « Je ne veux pas l’habituer à réclamer mon attention comme ça, après ça va être la porte ouverte à tous les caprices!! » ?

J’aimerais revenir sur ce mot : « caprice ».

Voici ce qu’en dit le Larousse : « Volonté soudaine, irréfléchie et changeante de quelqu'un, parfois d'un animal ; lubie ».

Selon une autre définition : « Envie subite et passagère, fondée sur la fantaisie et l’humeur ».

Lorsqu’un enfant se met en colère, crie, pleure après s’être fait refuser quelque chose, on dit souvent qu’« il fait un caprice » (ses variantes : « il fait du cinéma! » ou « il le fait exprès pour me titiller!! »).

En général ce jugement nous empêche d'être patient…ou nous fait céder. Dans les deux cas on n’aide pas l’enfant à se développer et grandir.

Comment réagir alors? Comment être patient?

Avant d’aller plus loin, il faut savoir que neurologiquement l’enfant est incapable de manipuler car son cerveau n’est pas encore mature (surtout avant cinq ans). Il ne sait pas faire exprès.

Quand l’adulte prête de mauvaises intentions à l’enfant, en réalité il se projette sur lui et tombe malheureusement dans l’adultomorphisme (ou notre tendance, à nous adultes, de voir l’enfant non tel qu’il est vraiment mais comme un adulte miniature).

Et comment être capable de manipuler quand on est intellectuellement et émotionnellement immature? Qu’on est encore incapable de distinguer le bien du mal?

D’un autre côté quand votre enfant fait une crise de colère parce que vous avez refusé de lui donner cette barre de chocolat, n’est-ce pas tentant de penser qu’il fait un caprice?

Il fait simplement une crise de colère car il ne sait pas encore gérer sa frustration (qui se transforme ensuite en colère), ni ses émotions (son cerveau en cours de « construction » ne lui permet pas de contrôler ses émotions telles que ses pulsions de colère).

Sa colère peut vous paraître disproportionnée par rapport à la situation mais il la vit réellement à 1000%.

Il a besoin que vous fassiez preuve d’empathie, que vous vous mettiez à sa place, que vous lui appreniez à mettre des mots sur son émotion, que vous lui montriez comment vous savez vous-même gérer vos frustrations de manière sereine.

Tout en assumant votre refus de lui donner ce qu’il désire.

Par exemple quand vous lui dites « Je comprends, tu es très déçu car tu voudrais tellement manger cette barre de chocolat. », puis que vous lui expliquiez que le sucre est mauvais pour lui, il va se sentir compris et sa colère va certainement commencer à se calmer.

Quand, dans un autre contexte, il vous voit dire : « J’aimerais beaucoup manger cette grosse part de gâteau au chocolat maintenant mais c’est mieux pour moi de manger cette pomme. Tant pis, une autre fois! », il va apprendre à gérer sa frustration en suivant votre modèle (ça y est, je me donne faim toute seule avec cet exemple !! ^^).

Poser un cadre à son enfant n'empêche pas d'être patient

Si vous avez pris l’habitude de répondre aux crises de colère de votre enfant en lui donnant systématiquement ce qu’il désire (comme la barre de chocolat!), c’est là que les choses se gâtent (ou les dents ça dépend ^^)…car il va intégrer que se mettre en colère lui permet d’obtenir ce qu’il veut…mais ce n’est pas de la manipulation. Plutôt du bon sens ^^

Blague à part, votre enfant n’est pas capable de simuler une émotion.

En même temps il a réellement besoin que vous lui mettiez des limites, c’est pour son bien!

Peut-être que son papa est souvent absent (ou sa maman, ça arrive aussi!), que vous avez du mal à lui dire « non » car vous vous sentez dépassé.e à vous occuper seul.e de lui et que vous voudriez juste avoir la paix…ou que vous pensiez que lui donner ce qu’il veut va « remplacer » l’absence de son père (ou sa mère).

C’est vrai que votre enfant a besoin de beaucoup d’amour, de douceur, d’encouragements, mais dans un cadre sécurisant.

Et ce cadre, c’est aussi votre capacité à lui dire « non » quand il faut, à établir, respecter (et lui faire respecter) certaines règles.

Il ne va pas moins vous aimer si vous lui dites simplement « non » fermement et avec douceur quand c’est nécessaire.

Et que vous ne fléchissiez pas après lui avoir dit ce « non ».

Je pense qu’au contraire, il va savoir qu’il peut compter sur vous pour lui mettre ces limites saines dont il a vraiment besoin pour mûrir et devenir plus tard un adulte équilibré et responsable.

3. Ils ne parvenaient plus à être patients devant les pleurs incessants de l’enfant…mais lorsque Maria s’est approchée…

Cela vous arrive-t-il de vous sentir totalement impuissant.e devant les cris ou pleurs de votre enfant, ne sachant que faire?

Peut-être est-il fatigué? A-t-il faim? soif? Vous vous rendez vite compte que ce n’est rien de tout cela!

Mais qu’est-ce que ça peut être alors?

Parfois, quand l’enfant pleure ou crie sans raison apparente, on peut être tenté de penser que c’est un « caprice »…

Comme la maman de Mina qui n’a pas pris conscience que sa fille avait faim…mais pas une faim matérielle…plutôt une faim spirituelle, une soif d’amour et d’attention, exprimée en deux mots : « Maman, reste! »

Et si ces « caprices » d’enfant avait tous une raison d’être, bien qu’on ne la connaisse pas toujours? Une raison liée à un besoin vital qui demande une réponse adéquate?

Maria Montessori, dans son livre L’enfant, illustre un de ces « caprices » d’enfant par une anecdote


Elle se trouve avec quelques personnes en promenade dans la Grotte de Néron à Naples.

Parmi les promeneurs, une jeune dame conduit son enfant, trop petit pour pouvoir parcourir à pied ce passage souterrain qui traverse toute une colline.

Après un instant, l'enfant se fatigue et la dame le prend dans ses bras.

Mais elle n'a pas calculé ses propres forces.

Elle a très chaud, et elle s'arrête pour enlever sa jaquette qu’elle met sur son bras.

Ainsi encombrée, elle reprend l'enfant.

Celui-ci se met à pleurer et sa plainte devient de plus en plus bruyante.

La maman cherche en vain à le calmer. Elle est épuisée et commence à s’énerver. Tous les autres s'énervent aussi et lui offrent leur aide.

L'enfant passe de bras en bras, toujours plus agité. Chacun l'exhorte, le gronde, empirant la situation.

Il semble nécessaire que la mère le reprenne. Mais la situation semble désespérée.

Le guide intervient et serre l'enfant entre ses bras robustes. Le petit a alors une réaction violente.

Maria s’approche alors de la mère et lui demande: « Madame, voulez-vous me permettre de vous aider à repasser votre jaquette? »

Elle la regarde, surprise, parce qu'elle a encore chaud. Mais, confuse, elle la laisse lui remettre sa jaquette.

L'enfant se calme immédiatement.

Les larmes et l'agitation cessent et il répète plusieurs fois : « Paletot... épaules... » ce qui veut dire : « Le paletot sur tes épaules... Il faut que Maman garde le paletot sur ses épaules! »

Il a l'air de penser : « On m'a enfin compris! ». Il met les bras autour de sa maman, tout souriant.

Le voyage se termine dans la plus grande tranquillité.

Le paletot est fait pour rester sur les épaules et non pas pour pendre comme un chiffon sur le bras. Ce désordre, sur la maman, avait été la cause de tout le conflit.

Pourquoi un "désordre" peut-il provoquer une crise chez l'enfant?


Ce besoin d’ordre extérieur peut paraître insolite chez l’enfant car on le voit souvent comme un petit être désordonné, voire confus.

Pourtant, de sa naissance à ses six ans, l’enfant est particulièrement sensible à l’ordre.

Durant cette période de sa vie, appelée « période sensible de l’ordre », l’enfant va ordonner et attribuer des fonctions et des emplacement aux objets et aux personnes.

Cela va lui permettre d’appréhender son environnement, lui fournir des repères pour construire sa pensée.

C’est pourquoi il a une forte tendance à ranger les choses qu'il considère ne pas être à leur place dans cette période.

Et pleurer, crier ou s’agiter lorsqu’il vit des expériences ne respectant pas l'ordre auquel il est sensible.

Il existe d’autres périodes sensibles durant lesquels l’enfant développent certains caractères particuliers.

Toutes ne durent qu’un temps, puis disparaissent peu à peu.

Elles représentent une opportunité unique pour l’enfant de se développer pleinement…

à condition qu’aucun obstacle ne viennent entraver ces sensibilités naturelles.

Et vous, quels types de pensées vous empêchent parfois d'être patient.e avec votre enfant?

N'hésitez pas à partager cette infographie sur votre réseau social préféré si vous pensez qu'elle peut aider d'autres parents à mieux comprendre leur enfant :

  • Zaynab dit :

    As salam 3aleykoum wa rahmatulahi wa barakatuh

    J’ai l’impression que cet article est fait pour moi autant dans le contenu que le contexte. J’ai été placée en famille d’accueil à l’âge de 8 ans et la famille qui était responsable de moi était froide et autoritaire, dénuée de marque d’affection. J’ai beaucoup souffert là-bas, al hamdulillah 3ala kulli hal, moi qui avais l’habitude des bisous et câlins de ma tendre mère. Étant devenue maman à mon tour de 3 enfants, je n’ai aucune patience avec eux, je les vois plus (inconsciemment) avec un regard d’adulte que d’enfants (mon mari m’a souvent fait la remarque), j’ai parfois été très dure avec eux, depuis peu j’arrive à jouer un peu avec eux, contrairement à il y a quelques années en arrière où c’etait non systématiquement.

    J’ai pris conscience, et j’essaye de « guérir ». Lorsque je vois un de mes enfants dans un état de colère j’essaye de relativiser et de prendre sur moi, et il est vrai que cela change TOUT! J’arrive vite à un câlin et bisous ^^

    • Samah dit :

      Wa alaykom assalam wa rahmatoullah wa barakatouhou chère Zaynab,

      C’est tout à ton honneur d’être consciente de tes difficultés avec tes enfants et de chercher à les surmonter! C’est difficile de donner à nos enfants ce qu’on n’a pas reçu nous mêmes et en même temps nous avons en nous toutes les clés pour ouvrir notre coeur et nous libérer des conditionnements et des peurs liées à notre enfance. Je pense qu’une des clés est un amour sans conditions, une infinie patience envers nous-mêmes, une infinie indulgence envers nos « faux pas » lorsque nous constatons que nous reproduisons (à notre insu) les schémas dysfonctionnels du passé. Une autre est de savoir clairement quelle type de relation nous souhaitons cultiver avec nos enfants. C’est cette « vision » qui nous aidera à « prendre sur nous » dans les moments les moins évidents comme les crises de colère des enfants. Un merveilleux Ramadan à toi et tes proches <3

      Samah

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