C'est un jour d'été et de grande chaleur à Tunis... Enthousiaste, je m'assieds à ma table et commence à planifier les deux semaines que je vais passer à Paris.
Sur une petite feuille je dresse la liste des personnes que je veux absolument revoir. Bien sûr celle qui m'a invitée à assister à son mariage cet été. Des amies de longue date. D'autres plus récentes mais pas moins bienveillantes.
Bizarrement, dans cette liste, j'ai aussi ajouté les noms de personnes dont je ne me sentais pas vraiment appréciée, ni respectée.
Je me sentais comme "obligée" de les revoir.
Pourquoi ma main a-t-elle écrit leurs noms? Un à un? La simple idée de les effacer faisait monter en moi un sentiment de culpabilité toxique.
"Allez, enlève-les de cette liste. Ces personnes font partie du passé...sans compter que leur fréquentation te vide de ton énergie. Ce sont des connaissances avec un masque d'amitié."
" Mais tu n'y penses pas! Et si elles découvraient que je suis venue à Paris sans les appeler? "
La culpabilité a pris le dessus. J'ai annoncé ma venue au groupe. Pas de réponse. Une réaction quelques jours avant mon départ, alors que j'avais déjà planifié mon séjour.
Cette fois j'ai pris mon courage à deux mains. J'ai effacé ces noms de la liste. Un à un.
La culpabilité s'est transformée en un grand soulagement. Je me suis promis de m'écouter dorénavant. Dès que j'entendrai la petite voix bienveillante (et franche).
Quand tu commences à te libérer de la culpabilité dans ta vie, ta vie change. De nouvelles possibilités (et amitiés) s'ouvrent à toi. Tu t'alignes à tes valeurs non plus par de l'auto-flagellation mais en prenant la responsabilité de ce que tu ressens et de ce que tu veux vraiment.
Je pense qu'on a tous ressenti du remords un jour ou l'autre. C'est un sentiment plutôt sain, qui nous aide à prendre conscience de nos faux pas, à rectifier le tir si on a fait une erreur ou blessé quelqu'un.
La culpabilité, elle, surtout si elle est fréquente (et pas réellement fondée) est toxique. Elle peut constituer un sérieux obstacle à notre croissance et à notre épanouissement si on ne s'en libère pas.
D'où vient le sentiment de culpabilité toxique, angoissant...envahissant?
Pour Donald Winnicott, un psychanalyste et pédiatre britannique, il remonte à l'enfance, à l'âge où on est encore un tout petit nourrisson...Il peut apparaître chez le bébé suite à un élément manquant dans son environnement.
Je me suis longtemps méfiée de la psychanalyse...peut-être parce que le premier livre sur l'interprétation des rêves que j'ai découvert était écrit par Freud et m'avait donnée l'impression que rêves = signification sexuelle. Bref, un peu réducteur et limité.
Je préfère Carl Gustav Jung, dont je trouve l'analyse plus équilibrée. Ça n'engage que moi...je peux me tromper! 🙂
Winnicott est influencé par les travaux de Freud, mais il en a une approche personnelle et critique. Par exemple, Freud fait remonter l'origine de la culpabilité à ce qu'il a appelé le complexe d'Oedipe. Pour Winnicott, la culpabilité remonte aux premiers stades du nourrisson, dans la relation duelle mère-enfant.
Donald Winnicott s'est tout particulièrement intéressé à la genèse du sentiment de sollicitude, qui est une caractéristique importante de la vie sociale. Il utilise le terme de "sollicitude" ou "concern" pour désigner, d'une manière positive, un phénomène qui négativement se traduirait par "culpabilité".
La sollicitude exprime le fait que l'individu se sent concerné, impliqué et que, tout à la fois il éprouve et accepte une responsabilité.
Donald Winnicott
pédiatre et psychanalyste
Dans son livre intitulé "processus de maturation chez l'enfant", Winnicott explique que pour acquérir ce sentiment de sollicitude il faut que l'enfant ait déjà été entouré de soins "suffisamment bons" dans les stades de développement précédents.
L'enfant commence à différencier le "moi" du "non-moi", ce qui n'était pas le cas auparavant, quand il pensait faire un avec sa figure maternelle. La réalité psychique interne devient réelle pour lui, et la richesse de cette réalité se développe à partir de l'expérience simultanée de l'amour et de la haine, ce qui implique le succès de l'ambivalence.
En utilisant sa motricité, il découvre qu'il agit sur le monde et que le monde réagit en retour. L'agressivité / destructivité par rapport aux objets externes naît à ce moment-là. L'enfant imagine non seulement qu'il mange l'objet mais prend également possession de son contenu.
Si l'objet n'est pas détruit, ce n'est pas parce que l'enfant a voulu le protéger. C'est le fantasme de la relation d'objet basée sur l'instinct, l'objet étant utilisé sans se préoccuper des conséquences, "utilisé sans pitié".
Selon Winnicott, l'enfant immature a deux mères, deux aspects des soins infantiles, qu'il appelle respectivement la "mère-objet" et la "mère-environnement".
La "mère-objet", c'est la mère réelle, celle qui est susceptible de satisfaire les pulsions instinctuelles. Elle est nécessaire pour survivre aux épisodes dirigés par l'instinct, étant la cible de la tension instinctuelle brute.
La "mère-environnement" c'est la mère qui est elle-même, sécurise, prend soin, fait preuve d'empathie envers son enfant, est là pour recevoir, heureuse, ses gestes spontanés, son affection.
Les pulsions instinctuelles conduisent à un usage "sans pitié" des objets : par exemple l'enfant pourrait imaginer qu'il "dévore" sa mère. Ces pulsions conduisent aussi à un sentiment angoissant de culpabilité qui sera apaisé et contenu par "l'offrande" que l'enfant pourra faire à la "mère-environnement" à certaines heures.
Cela implique que la mère soit régulièrement présente physiquement et disponible psychiquement (c'est-à-dire ne pas être préoccupée par autre chose) pour que l'enfant puisse donner, réparer et ainsi sortir de l'angoisse de perdre sa mère (l'ayant "dévorée").
Lorsque la confiance s'est établie que ce cycle de "dévorer la mère-objet" / "réparer en donnant à la mère-environnement" se répétera et que les occasions de réparer se présenteront, le sentiment de culpabilité lié aux pulsions instinctuelles se modifie.
Il se transforme en quelque chose de plus positif, la sollicitude.
Le nourrisson se sent maintenant impliqué puisqu'il a eu l'occasion de donner et se sent capable d'endosser la responsabilité de ses propres pulsions. Ça fournit un des éléments constructifs du jeu et du travail.
Si au contraire l'occasion de réparer vient à manquer, l'angoisse "en suspens" se transforme en culpabilité qui peut apparaître à travers la tristesse ou une humeur dépressive. La capacité de sollicitude se perd.
En bref, l'échec de la mère-objet à survivre, ou de la mère environnement à fournir des occasions régulières de réparation, conduit à une perte de la capacité de sollicitude et à son remplacement par des angoisses et des défenses non élaborées, comme le clivage ou la désintégration.
Donald Winnicott
pédiatre et psychanalyste
Winnicott a en fait décrit avec ce phénomène de sollicitude ce qui se passe quand il n'y a pas de séparation entre les mères et leurs nourrissons.
Pour moi, ce phénomène décrit par Winnicott montre que l'être humain est une machine à interprétation, et ce dès le plus jeune âge.
Enfant, on ne pouvait pas toujours vérifier certaines de nos croyances erronées (on faisait avec les moyens du bord!) mais aujourd'hui on peut en prendre conscience et les modifier.
Ce n'est pas facile...car souvent une fausse croyance (surtout si elle est très ancienne) a donné lieu à certains comportements inadaptés, qui ont eux-mêmes renforcé cette croyance...
...mais je pense que c'est possible avec un peu de plasticité cérébrale 🙂
Par exemple, imaginons une maman qui ne s'est pas comportée de manière parfaite avec son enfant...Elle peut choisir de céder à la culpabilité toxique...ou de développer sa "sollicitude".
Et vous, êtes-vous en proie à la culpabilité toxique?
N'hésitez pas à partager dans les commentaires comment vous gérez le sentiment de culpabilité et comment ça impacte votre relation avec votre enfant 🙂